Quelques extraits

Voici quelques extraits d’écrits de vie que j’ai réalisés:

[…] Parler de soi… Quelle difficulté ! Je suis d’une génération où la pudeur et la discrétion étaient de rigueur. Il convenait de ne pas se raconter, ne pas s’écouter, garder pour soi ses sentiments et avancer quoiqu’il arrive. Que de chemin parcouru depuis, pour arriver à ce matin, et m’autoriser à parler un peu de moi. Car il s’agit bien là d’une forme d’autorisation que je m’offre à moi-même, maintenant que personne ne peut me l’interdire. Transmettre mon histoire à mes enfants et petits-enfants est aussi symbolique qu’émouvant, pour une personne comme moi. Et puis, du haut de mes quelques décennies, il est vrai que j’ai quelques petites anecdotes à leur laisser. Peut-être aurais-je le courage de me laisser glisser dans mes souvenirs, afin d’offrir quelques faits marquants de mon histoire, car au fond, je suis le fruit de ces années passées…

 […] Il profitait ainsi de la vie, et au volant de sa Hotchkiss, « la voiture du juste milieu » comme le slogan de la marque le proclamait alors au salon de 1922, voiture ralliant les suffrages d’une clientèle bourgeoise aisée qui recherchait le confort et la discrétion, il était sans cesse en déplacement professionnel et n’était père ou mari que de nom…

 […] Un Homme est le fruit de vies antérieures, résultante d’une lignée familiale. Il est également le fruit du profit qu’il a su tirer des dons qu’il a reçus. Matériels ou immatériels, nous sommes dotés dès notre naissance d’éléments fondateurs. L’exploitation de ces données suivant nos individualités nous dessine et nous caractérise. Sans faire un bilan de parcours, dresser le portrait d’aïeux fondateurs et ouvrir les portes de mon histoire est un exercice aussi complexe que formateur. Puisse t-il être un support, oserais-je dire un tuteur, à mes proches leur permettant, peut-être, de mieux me connaître à défaut de se connaître…

 […]Pour bien comprendre, il faut dire qu’après la première guerre mondiale, Paris connaît dix années d’effervescence et de totale libération qui résonnent comme une parenthèse féérique en cette période de deuil national. La fête est le mot d’ordre de ce que l’on surnommera les années folles, menée par une jeunesse enivrée d’espoir, qui souhaite s’amuser, vivre et surtout oublier l’horreur de la première guerre. Les années folles entraînent donc les Parisien(ne)s dans une sorte de frénésie, aussi bien culturelle que sociale…

[…] Comme tout être entier, je suis passionné. Et comme tout passionné, je vis les choses avec un débordement compulsif. Cela commence par vivre dans l’extrême, car je suis ainsi. Je ne conçois pas la tiédeur et la mesure. J’aime avec fougue et emportement. Et je me lance dans une aventure, professionnelle comme personnelle, avec ce côté jusqu’au-boutiste qui peut être aussi merveilleux qu’insupportable. Mais cette façon d’agir peut se retourner contre moi en m’isolant et en me permettant d’opérer cette autodestruction quand la peur de perdre le bonheur me submerge..

[…] Au même titre que la passion handicape et anesthésie la raison, elle fait résonner souvent le perfectionnisme à outrance. Le souci de la précision peut se révéler de la maniaquerie invivable pour un environnement plus raisonné […] Pouvoir appréhender un comportement passionné demande une connaissance des coulisses révélatrices de l’âme. Devant tant de fureur continuelle, tant de révolte perpétuelle, tant d’isolement agressif, tant d’apparente intolérance, il y a une constante. Celle que tout être particulièrement sensible subit et avec laquelle il doit apprendre à vivre. La peur de ne pas être à la hauteur pour être aimé

[…] Il était chargé de transmettre un pli à moto la nuit, sans lumières. Et il a été heurté par un convoi allemand lui-même sans lumières. Fortement blessé, il est resté dans le fossé pendant toute la nuit, dans le coma. Il a été découvert le matin, on l’a emmené dans un hôpital militaire. Il me dira lui-même avoir entendu le médecin chargé de le soigner dire « lui ce n’est pas la peine on s’en occupera après, il n’a plus que quelques heures à vivre. » Il est resté dans le coma trois jours…

 […] Nous roulions sur la route pour descendre vers le midi, vers la future « zone libre ». Nous nous sommes arrêtés là. Il y avait un café, et beaucoup de monde autour. Nous nous sommes approchés, et là j’ai entendu… Nous étions le 18 juin 1940. Ce fut ce jour mémorable de l’appel du Général de Gaulle. Et je l’ai entendu le jour même !

 […] Nous avions un vieux camion provenant du surplus de la guerre de 1914/1918 que mon père avait acheté en 1928 pour faire ses livraisons de matériels. Ce camion à essence était arrêté depuis de nombreuses années. Il a fallu le remettre en état de marche pour adapter un « gazo bois » que mon frère avait fabriqué. Après la guerre, il y avait en effet la pénurie de carburant. Les voitures particulières fonctionnaient avec un appareil appelé gazogène qui fonctionnait au charbon de bois. Ce système fut utilisé couramment pour pallier le manque de carburant. Nous avions ce camion au gazogène grâce à mon frère. Cet appareil qui permettait de produire un gaz combustible à partir de matières solides comme le bois pouvait alimenter les moteurs à explosion…